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Pourquoi le suivi de la production d’énergie peut-il nous aider à mieux vivre notre consommation ?

22 novembre 2023

La production et la consommation d’énergie se traduisent toutes deux par des chiffres, des courbes, des histogrammes.

Mais sur le plan psychologique, ces deux activités présentent une opposition radicale et perturbante : normalité d’un côté, culpabilité de l’autre.

Production d’énergie et normalité

Prenons un particulier qui s’équipe d’un générateur photovoltaïque. Il suit sa production au quotidien. Une surtension fait disjoncter son installation ? Il s’en rend compte et peut réenclencher son compteur. Ses panneaux produisent moins que d’habitude en raison de l’empoussièrement ? Il peut nettoyer ses panneaux. Son onduleur tombe en panne ? Il le remplace.

Pour l’essentiel, son objectif principal va consister à veiller à ce que sa production suive le plus fidèlement possible les prévisions, s’en trop s’en écarter. Si les chiffres sont au-dessus, tant mieux. S’ils sont en-dessous, il s’agira de comprendre pourquoi et de rectifier les choses.

Nous sommes donc dans une culture de l’alerte. Pour une journée donnée, tant que la production n’est pas nulle, et qu’elle ne s’écarte pas trop des prévisions (par exemple 10% à l’échelle mensuelle), il n’est pas nécessaire de disposer de beaucoup plus d’informations. Ce qui compte à la fin, c’est que le résultat annuel soit proche de la prévision, et c’est d’ailleurs généralement le cas.

Figure 1 - Histogrammes de production issus du Sunny Portal de la société SMA – production photovoltaïque mensuelle

Le suivi de production relève de la recherche de normalité, quasiment au sens de la loi normale, représentée par les courbes de Gauss quotidiennes représentant la course solaire par beau temps. Une normalité basée sur la course solaire et pas sur une normalité humaine, individuelle ou collective.

Figure 2 - Courbe de production visible sur le Sunny Portal de la société SMA – puissance instantanée de l’onduleur sur une journée

La consommation : une culpabilité associée à l’impossible objectif zéro ?

Dans le cas de la production, un générateur photovoltaïque de 3 kWc ne pourra jamais produire 6 kW en instantané (1) ! Il y a un maximum de production associé à la configuration de l’installation, et ce maximum ne peut pas être dépassé.

Pour la consommation, quand on suit ses courbes au quotidien, l’horizon est toujours le zéro. On part en vacances, on peut atteindre le zéro. On part en week-end, on peut atteindre le zéro (si l’on coupe le compteur et que le réfrigérateur et le congélateur peuvent être arrêtés…).

Figure 3 - Histogrammes de consommation quotidienne Enedis

En revanche quand on vit dans un lieu, on ne peut pas atteindre le zéro. On a besoin de s’éclairer, de cuisiner, de se chauffer, de se doucher (et si possible à l’eau chaude), de laver son linge, de le repasser, de faire la vaisselle, de conserver ses aliments, d’utiliser un ordinateur…

Dès lors, il y a un problème. Il faut réduire sa consommation, mais jusqu’à quel point ?

Quand des concours sont organisés pour encourager des logements à faible consommation d’énergie, quel est finalement l’objectif ? Atteindre le zéro ?

Chaque jour, les médias nous ressassent des informations anxiogènes sur l’impact des humains sur l’environnement.

Un fond de culpabilité rejoint alors cette notion d’économie d’énergie. Mais concrètement, cela revient à quoi ?

Parfois, l’ambition zéro amène à faire vivre l’enfer à ses proches. Rationner. Laisser se développer les mauvaises odeurs dans un lave-vaisselle qu’on lance le plus rarement possible. Accumuler le linge pour « optimiser » les lancements de machines. Limiter les douches. Arrêter les bains.

Cela finit par toucher à l’avarice, à la pingrerie.

Comme nous l’avons montré plus haut, la production n’est pas associée à un vice tel que la cupidité. L’objectif est la normalité, la conformité. Son suivi relève d’une forme de saine gestion de « père de famille ».

Viser le zéro, une forme de pathologie ?

Oui, vouloir moins consommer en visant la ligne du zéro débouche sur une certaine forme d’autodestruction. Vivre, c’est consommer (2) .

Il faut un autre objectif que cette ligne représentant le néant.

Quand j’ai appris à conduire, le moniteur d’auto-école m’expliquait : « regarde toujours la route, ne regarde jamais l’obstacle, sinon tu vas le percuter ».

La ligne du zéro, c’est l’obstacle. Dès lors, sur quelle route devrons-nous porter notre attention ?

Prévoir une sobriété voulue et personnalisée ?

Un programme d’économies d’énergies peut prendre plusieurs formes :

- Dans un premier cas, aucun investissement lourd n’est envisageable ou envisagé,

- Dans une seconde situation, des investissements peuvent permettre de réduire certaines consommations (chauffage, eau chaude sanitaire…),

Dans les deux configurations, il s’agit de définir une courbe de normalité comme nouvel objectif.

Cette prévision doit être établie à partir de ce que les occupants considèrent comme souhaitable et atteignable.

Il faut donc construire une prévision. Comme pour le photovoltaïque, le point de référence doit être la prévision à mettre en regard de la réalisation. Cette perspective doit être visible à différentes échelles : journée, semaine, mois, année.

Naturellement, des investissements significatifs ou des changements dans la situation familiale amènent à réétalonner la prévision. Dans tous les cas, même en visant le niveau passif (3) , les occupants continueront à consommer de l’énergie.

Appelons tous les outils de suivi de consommation à mettre en regard prévisions et consommations réelles !

La plupart des outils de suivi de consommation n’intègrent pas la construction d’une simulation personnalisée. Il en est ainsi des consommations communiquées par Enedis, qui apparaissent en figure 3.

Ecojoko, un outil de suivi de consommation soutenu par l’opérateur énergétique Enercoop, fait apparaître une moyenne (la ligne pointillée grise située dans la partie haute du diagramme de la figure 4), mais celle-ci ne représente pas un objectif de consommation, plutôt une sorte de maximum, une référence floue.

Le choix d’Ecojoko de montrer un objectif en euros peut sembler plus proche des préoccupations des utilisateurs, mais les évolutions rapides du prix de l’énergie en raison de l’inflation introduisent un important biais dans l’analyse des consommations. Si le tarif augmente de 10%, l’utilisateur va avoir l’impression d’avoir dérivé dans ses usages, alors qu’il n’y est strictement pour rien.

C’est pourquoi, même si l’affichage monétaire reste une fonctionnalité utile, la priorité est de faire apparaître des consommations (et des prévisions) en kWh.

Figure 4 - Histogrammes de consommation hebdomadaire de l’application Ecojoko

Ainsi, la construction de prévisions personnalisées, qui seront mises en regard des consommations, est la seule approche envisageable si nous voulons éviter aux hommes la double contrainte de la culpabilité et la nécessité de consommer pour vivre.

Il s’agit de viser le bien-être, pas le luxe. D’éliminer les consommations inutiles, pas d’arrêter toute consommation.

Dès lors, il sera plus simple de disposer, comme pour le photovoltaïque, de simples alarmes en cas de dépassement excessif. Ce genre d’alarmes aura d’ailleurs plus de sens à l’échelle de la semaine, inutile d’être obsédé par sa consommation du jour.

Et nous vivrons notre consommation avec sérénité, ayant défini, non une normalité absolue, mais notre propre normalité.


Jean-Pascal SCHAEFER

Notes :

(1) Un kilowatt-crête (kWc) correspond à une capacité de production électrique de 1 000 watts, obtenu avec un rayonnement solaire de 1000 W/m², avec une température de 25°C. Ces conditions standard de référence, mesurées en laboratoire, simulent un maximum théorique de production, représentant une journée d’été ensoleillée, avec des rayons solaires perpendiculaires au plan des panneaux.

(2) En élargissant le champ, la position de l’Union Européenne qui veut prendre la suprématie mondiale sur le zéro carbone (neutralité carbone en 2050), pose question. Nous observons sous nos yeux une zone économique qui se désindustrialise, qui n’est d’ailleurs plus en mesure de produire les médicaments dont sa population a besoin.

(3) Un habitat passif est caractérisé par le fait qu’il conserve suffisamment de chaleur pour pouvoir se passer de tout mode actif de chauffage. Il est basé sur une isolation renforcée, des fenêtres extrêmement performantes, une ventilation double flux avec récupération de chaleur, l'étanchéité à l'air, la suppression des ponts thermiques, l'optimisation des apports solaires gratuits, ainsi que l'utilisation d'appareils peu gourmands en énergie (source : Maison Passive).